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Comment êtes-vous devenu la première fois impliqué dans l'art contemporain?
Olivier Castaing:
Mon projet s'inscrit assez logiquement dans l'ADN familial, avec un grand père et
un arrière grand père paternels artistes peintres, ayant vécu jusqu’à l’âge de 18 ans au milieu de leurs œuvres
couvrant les murs de la maison familiale.
Etant jeune, je passais des heures à contempler la galerie de portraits familiaux réalisés par mon grand père, les scènes
intimistes, les dessins et études préparatoires.
Avec mes premiers salaires j’ai tout naturellement commencé à m’offrir des peintures puis de très nombreuses sculptures,
des installations, de la photographie mais également du design et notamment des luminaires, mes escapades à Bruxelles, Berlin,
Londres ou New York étant prétexte à chiner des pièces rares ou jamais vues en France. Chaque déplacement devenait une opportunité
de rencontres avec de nouvelles formes d’art et de nouveaux artistes.
En parallèle de mon job dans la communication et l’internet, qui me laissait de nombreuses plages de loisir, j’ai
assidûment fréquenté, ateliers d’artistes, galeries et musées, pour enrichir mes connaissances et affiner mon œil
et mes goûts.
Isabelle Gounod:
Mon premier contact avec l’art contemporain remonte au milieu des années 70,
j’étais alors étudiante et découvrais le théâtre, le cinéma et les premières biennales d’art contemporain à Paris.
Mes professeurs étaient critiques d’art, historiens de l’art … et artistes.
Je me souviens d’une étonnante exposition en 1971 « Francis Bacon », de la découverte du « zip » de Barnett Newmann…
J’ai ensuite rejoint le théâtre après des études de théâtre à Paris et à Londres. Le théâtre à cette époque était un
lieu très expérimental, réunissant les acteurs, des danseurs, des auteurs, des réalisateurs, des régisseurs lumière…
si l’on se souvient des mises en scènes de Bob Wilson… nous étions en présence de « performance », d’ «
installations ». Il en est de même avec l’oeuvre de Marguerite Duras, si l’on pense à la rythmique de son écriture,
au travail de la voix off sur l’image dans ses films, dans ses pièces… à la recherche de Carolyn Carlson sur l’inscription
du corps dans l’espace, aux réalisateurs de films expérimentaux bien sûr, mais aussi à Antonioni, Godard… Ils
ont tous participé à ce qui constitue la scène actuelle de « l’art contemporain ».
Des années plus tard alors que je travaillais dans le secteur de la production cinématographique et audiovisuelle, je me souviens
tout particulièrement du tournage d’un documentaire sur Eric Fischl et Pierre Bonnard, au cours duquel je rencontrais
l’un des neveux de Pierre Bonnard qui me donna l’occasion de tenir entre mes mains quelques agendas de l’artiste
dans lesquels il reportait quotidiennement des annotations sur le temps, la lumière, et parfois des petits croquis de sa femme...
L’intimité, la chair et … la lumière dans la peinture de Fischl comme dans celle de Bonnard. Ce sont ces rencontres
et d’autres qui au fil des ans m’ont menées à l’ « art contemporain ».
Loraine Baud:
C'est une enseignante à l'université qui a accompagné mes premiers pas dans l'art
contemporain. J'ai découvert un vocabulaire nouveau, en prise avec mes questionnements auxquels mon éducation plus "classique"
ne répondait pas totalement. Les notions de posture, de parti-pris, de performativité ont marqué et transformé la manière
dont je regardais, écoutais, comprenais le champ artistique, des arts plastiques à la danse contemporaine.
Pourquoi avez-vous voulu ouvrir une galerie?
Olivier Castaing:
Pendant plus de 15 ans j’ai organisé des expositions éphémères, généralement
en fin de semaine sur 4 jours pour aider les artistes à vendre leurs œuvres. Ces rendez vous sont devenues réguliers,
prétexte à découvrir des lieux insolites dans Paris et de nouveaux artistes.
Cette formule avait néanmoins des limites tant par le format court des expositions que par l’impossibilité de faire
un travail de fond en presse et auprès des institutionnels, en l’absence de « légitimité » réelle, sans lieu fixe et
avec une grande variété de propositions artistiques, difficile d’exister dans le milieu de l’art contemporain.
J’ai également fait du commissariat d’exposition, mis en place 2 manifestations en région centre bretagne, dans
le nord ouest de la France, pour redonner vie à une abbaye cistercienne. Manifestations bi-annuelles, j’ai ainsi crée
un symposium de sculptures semi-monumentales et une biennale d’art contemporain. Ces manifestations perdurent ajourd’hui
et ont été reprises par des intervenants locaux dans le domaine de l’art contemporain.
Par ailleurs j’ai organisé en tant que commissaire free lance des expositions photographiques sur Paris, notamment pour
des artistes suédois ainsi que l’ exposition inaugurale accompagnant l’ouverture de la Fondation Jean Rustin,
artiste majeur de la peinture française, aujourd’hui âgé de 80 ans.
J’ai également crée et animé un blog artistique pendant près de 18 mois avec une historienne de l’art, chacun
de nous écrivait en alternance un compte rendu d’expositions, de visites d’ateliers ou des textes de fonds sur
un artiste, unee œuvre ou une période particulière de l’histoire de l’art.
Il y a deux ans, j’ai décidé de passer le pas et de me consacrer entièrement à ma passion artistique. Il ne restait
plus qu’à trouver un lieu dans le quartier des galeries, au coeur du marais devenu l’épicentre de l’art
contemporain à Paris, de lever des fonds et de constituer un team d’artistes et enfin de mettre en place une programmation.
Isabelle Gounod:
Je pourrai évoquer l’héritage familial, composé de musiciens, d’écrivains,
de peintres, d’acteurs, de poètes…et toutes ces années travaillant dans différents secteurs de la production artistique,
le théâtre, la production de films et de documentaires, l’art-thérapie et les collaborations avec des artistes, comédiens,
réalisateurs, photographes et plasticiens. Ils m’ont certainement conduite au fil des années à m’apercevoir qu’il
m’était impossible d’envisager ma vie autrement qu’en adoptant cette « posture » qui est celle de l’accompagnement
de l’artiste, de son œuvre. J’ai été comédienne et il me semble que ces années de travail et de réflexion
sur l’écrtiture, le texte, les acteurs, le jeu de l’acteur, ont été essentielles et me permettent peut-être une
certaine empathie avec l’artiste et sa démarche.
Loraine Baud:
C'est une décision qui s'est comme imposée à moi. J'ai toujours travaillé auprès
d'artistes. En tant qu'agent, j'ai cherché la manière dont je pouvais porter leur travail. Et j'ai compris, à la suite de
nombreux projets menés, que la structure de la galerie pourrait me permettre de mieux les soutenir et les diffuser.
Comment décririez-vous votre galerie et les artistes que vous exhibez?
Olivier Castaing:
Spécialisée en art contemporain, la School Gallery représente des artistes français
et étrangers, au travers d’une programmation interdisciplinaire,
Mon objectif, dans un premier temps, est de faire découvrir des artistes jeunes ou reconnus à l’étranger mais sans réelle
visibilité en France, comme l’artiste argentine Marie ORENSANZ, figure incontournable de la scène artistique sud américaine,
aujourd’hui âgée de 72 ans et à laquelle le Musée d’Art Moderne de Buenos Aires a consacré une spectaculaire rétrospective
en 2007.
Cet intérêt pour la scène artistique argentine m’a incité à consacrer mes premières vacances depuis l’ouverture
de la galerie à un long séjour à Buenos Aires où j’ai rencontré pas moins de 40 artistes, notamment avec l’aide
d’Orly Benzacar directrice de la galerie du même nom et figure de proue des acteurs du monde de l’art en Amérique
latine.
Je suis également animé par un réel désir de promotion d’artistes émergents pour rendre compte de la diversité des pratiques
artistiques actuelles, soucieux de ne pas spécialiser la programmation sur tel ou tel média ou dans tel ou tel domaine.
L’éclectisme me paraît primordial pour rester à l’affût de propositions originales et à même de susciter l’intérêt
du public, des collectionneurs et des institutions et animer réellement un espace d’art et d’échanges.
La programmation s’oriente autour de 3 axes:
- des projets « engagés », comme le projet « water war » group show du printemps 2008 consacré aux « guerres de l’eau
dans le monde », ou le livre et l’exposition « Testimony », projet photographique de l’artiste suédois Joakim
Eneroth sur la torture des moines tibétains par les chinois …
Le choix de thématiques orientées sur les problèmes de société, illustre ma volonté de promouvoir des artistes faisant montre
d’un « humanisme militant », avec des propositions qui entendent défendre les libertés fondamentales comme l’
exposition inaugurale de la galerie intitulés « liberté toujours ! » (« ever free ») ou pour ouvrir la programmation de deuxième
année l’exposition de l’artiste argentine Marie Orensanz « pour qui ? … les honneurs … »,
- des expositions photographiques ou vidéos, près de la moitié des artistes de la galerie utilisant ces médias dans leurs
créations, sans exclusive, certains étant également peintres, ou plasticiens au sens large.
- des projets plus prospectifs, incursions dans le domaine du design ou de l’architecture, installations monumentales,
projets sonores, parcours artistiques.
Ce type d’exposition peut permettre d’intégrer des artistes qui ne sont pas sous contrat avec la galerie mais
dont les propositions artistiques sont à même d’enrichir le projet.
Isabelle Gounod:
Je me sens incapable de décrire ce qui est en constante évolution. L’on m’a
demandé quelle était la ligne directrice de la galerie… mes choix ! Il s’agit de rencontres avant toute chose,
avec un artiste, une personne puis avec sa démarche, enfin ses/son œuvre(s). Chaque artiste est singulier, je respecte
son exigence, une certaine intelligence du monde et l’ironie salvatrice et désespérée…
Je garde du théâtre cet esprit de troupe, de dialogue entre les « acteurs ». Si nous travaillons ensemble, si nous nous «
choisissons », car c’est ainsi que cela se passe, c’est peut-être en partie par ce que nous reconnaissons chez
l’autre, mais aussi pour nous laisser guider par eux …
Loraine Baud:
Une galerie est à la fois espace d'exposition et plateforme de médiation. Je la
pense comme un lieu ouvert, un espace d'échange. Ce qui induit une posture, tant vis-à-vis des artistes avec qui je travaille
en étroite collaboration, que de l'accueil des visiteurs. Avec audace et humilité, j'ai l'ambition de proposer un regard neuf,
de défendre une peinture contemporaine, de promouvoir un art incarné.
Comment avez vous trouvé les artistes que vous représentez?
Olivier Castaing:
J’ai démarré ma programmation en 2008 avec des artistes que je connaissais
déjà, soit pour les avoir intégréé à mon projet de biennale, soit pour leur avoir consacré une exposition personnelle au travers
de mon activité de commissaire d’exposition free lance dans les années antérieures.
C’est le cas de Naji Kamouche, qui a participé à la première Biennale d’art contemporain de l’Abbaye de
Bon Repos (Bretagne/France) Joakim Eneroth rencontré à FOTOFEST (Houston Texas) ou Susanna Hesselberg , soutenue lors de sa
résidence d’artiste à la Cité internationale des arts à Paris.
Aujourd’hui les nouveaux artistes sont surtout cooptés par ceux qui font déjà partie du team de la galerie mais aussi
recommandés par des commissaires d’exposition ou des historiens de l’art avec lesquels je collabore.
Pour moi, choisir une galerie c’est comme entrer dans une famille, et l’avis de tous les membres est important,
même s’il n’est que consultatif, il oriente de façon significative mes choix finaux.
Isabelle Gounod:
J’ai vécu avec un photographe plasticien et rencontré à cette époque des
artistes qui sont devenus des amis, dont certains avec lesquels je travaille aujourd’hui, ainsi
Michaële-Andréa Schatt que je connaissais depuis 1991 bien avant de décider d’ouvrir une galerie. Je souhaitais réaliser
un documentaire sur son travail, cela ne s’est pas fait mais des années plus tard je lui ai demandé si elle accepterait
de rejoindre une galerie « débutante », située dans une petite rue de la banlieue de Paris et nous avons inauguré la galerie
ensemble. C’était une petite galerie, un peu « la petite boutique au coin de la rue » ! J’avais rencontré également
Michel Alexis qui vit et travaille à New-York et à Paris qui nous a également rejoint et présenté une série de peintures «
autour » du Journal de Gertrude Stein… Un soir d’hiver 2004, je reçois un mail de Jérémy Liron, un jeune étudiant
aux Beaux-Arts de Paris. Je découvre sa peinture, ses écrits… il « débutait », moi aussi… ! Je suis très souvent
sollicitée par les artistes depuis que la galerie est à Paris… c’est pourquoi je suis d’autant plus reconnaissante
à ceux qui m’ont fait confiance depuis le début.
Le petite « troupe » s’est élargie, accueillant d’autres « acteurs », mais il s’agit toujours de rencontre,
du désir de se rencontrer. C’est un élément moteur, stimulant et infiniment subtile.
Loraine Baud:
Ce sont les artistes avec qui je travaillais déjà qui m'ont donné l'envie et le
courage de monter la galerie. Ce sont eux qui m'ont insufflé le désir de présenter leurs oeuvres, de les accompagner.
Quel est votre plus grand défi avec la galerie?
Olivier Castaing:
La question est de savoir comment exister au milieu des 500 galleries voir plus
qui sont présentes sur le marché de l’art parisien.
Comment sortir du lot, se forger une personnalité identifiable et être à même d’obtenir une raisonnance suffisante dans
la presse, auprès des institutions et des collectionneurs sur votre programmation et les artistes que vous promouvaient.
Il s’agit en premier lieu d’exister et ensuite de s’inscrire dans la durée.
C’est à la fois un challenge économique, compte tenu du prix prohibitif des loyers, des coûts de production et des risques
inhérents au marché.
J’ai axé ma différenciation sur la qualité de l’accueil, la présence la plus fréquente possible des artistes,
pour les remettre au coeur du système, considérant qu’ils sont trop souvent les « grands absents » des galeries, et
que cela devient presque un challenge que de rencontrer un artiste dans sa propre exposition. Enfin pour créer l’événement,
chaque exposition est prétexte à organiser des rencontres, afin d’être une plateforme d’échanges permanents et
de rencontres avec les artistes associés à des personnalités d’horizons différents : écrivains, psychiatres et psychanalystes,
architectes, paysagistes, enseignants et chercheurs, politiciens, afin de générer une réelle dynamique et des débats stimulants
avec les collectionneurs et amateurs d’art, et le public en général.
Isabelle Gounod:
Durer!
Loraine Baud:
La faire exister sur la scène internationale.
Quel est votre plus grand défi avec vos artistes?
Olivier Castaing:
Comme toute galerie le soutien aux artistes concerne la production des pièces présentées,
l’assistance sur des projets hors les murs, des publications notamment en faisant systématiquement appel à des historiens
ou critique d’art pour qu’ils écrivent sur chaque projet d’exposition afin de contextualiser le travail.
Accompagner des artistes dans le temps, doit être l’objectif qui conduit toute l’activité de la galerie. Il s’agit
avant tout de focaliser l’énergie sur toutes les opérations à même de montrer, valoriser le travail de l’artistes
au sein de la galerie mais aussi et surtout dans les institutions et collections publiques ou privées.
C’est un travail en binôme, qui suppose une confiance absolue, une osmose véritable pour être le mieux à même de défendre,
soutenir, faire sortir dans les meilleurs conditions le travail de l’atelier.
Pour un jeune galeriste, cela passe par la constitution d’un réseau de collectionneurs actifs, qui croient dans les
choix de la galerie, susceptibles de s’engager sur certains projets lourds, notamment en production, la mise en place
d’un réseau de correspondants institutionnels, de journalistes prêt à suivre le travail des artistes et du galeriste.
C’est un véritable marathon au quotidien, une course de fonds qui nécessite enthousiasme, énergie et plus que tout la
passion des artistes et de leur art.
Isabelle Gounod:
Les rassurer… Galeristes, commissaires, conservateurs, critiques, nous sommes
tous des « passeurs » - nous puisons notre énergie dans la relation que nous avons à l’art grâce aux artistes. Le défi
? Pas de défi avec les artistes si ce n’est celui de les accompagner dans le temps, de leur donner la parole.
Loraine Baud:
Leur donner la possibilité de produire le plus librement possible, et poursuivre
notre collaboration le plus longtemps possible, dans le même climat de respect, de transparence et de confiance.
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